Alors que notre vieille Europe est sur le point d’imploser, Jean Louis, combo au metissage
européen à la manière de l’Auberge Espagnol de Klapisch, dégaine tranquillement à travers l’Europe un jazz corrosif et carrément mystique à travers des influences aussi diverses que
world, rencontre improbable entre Fela Kuti et Archie Sheep. Sur scène, la violence dégagée par le trio provoque une tension qui effrite l’oreille, mais qui vous donne une irrésistible
envie de bouger votre cul, pour ensuite redescendre sur les pentes du chamanisme… Bricolage, saturation des sons, recherche constante de nouvelles agressions sonores, Jean Louis est un
groupe qui ne laisse pas indifférent, et qui vous invite sur une planète inconnu du jazz, celle que l’on recherchait depuis … on ne sait plus très bien. Rencontre avec le trio le plus
prometteur de la scène jazz.

Fuzzine : Pouvez-vous nous compter votre parcours musical pour chacun ainsi que les
circonstances de votre rencontre ?
Joachim : Aymeric (trompette) et Francesco (batterie) se sont rencontrés en trainant dans
les jams parisiennes et ont ensuite joué ensemble dans une fanfare nommée les chevals. J'ai rencontré aymeric au conservatoire de Paris, nous étions dans la même classe. J'avais déjà
croisé Francesco à quelques occasions mais je le connaissais moins, nous avons fini par faire une session tous les trois et on s'est vite dit qu'il fallait qu'on monte un groupe
ensemble.
F : Comment procédez-vous dans le procès de création et de compositions
?
J : En général on part d'une idée simple : un fragment mélodique, une série de notes, une
cellule rythmique. On improvise autour de ça, on cherche des développements, des grooves, des lignes de basse. Ça finit par prendre forme et à un moment il y a une structure qui se
dégage, mais qui va encore évoluer avec les concerts !
F : Je vous ai personnellement connu sur scène, sans avoir entendu l’un de vos albums. Il
est évident que sur scène, votre musique prend sans doute une autre ampleur. Quelle différence feriez-vous entre le travail en studio, plus studieux, et l’improvisation live ? Ne vous
est-il pas trop compliqué de recalquer cela sur un album ?
J : Evidemment nous jouons plutôt une musique de live d'ailleurs tous nos concerts sont
différents, et c'est ça qui nous plaît. Nous sommes improvisateurs et aimons prendre des risques, découvrir de nouvelles sonorités à chaque fois. Le travail en studio c'est fixer de
bonnes versions des morceaux sur la galette, mais aussi le studio est un outil créatif en soi ; sur « morse » figurent des titres que nous avons peu ou pas joué en concert, et qu'on a
composé en studio.
F : La première fois que l’on entend votre musique, c’est surtout l’effet « poing dans la
gueule » qui marque, en totale rupture avec l’image intello, voire snobinarde, que l’on peut parfois avoir des milieux Jazz (et notamment Free). Vous êtes d’accord avec ça ? Si oui,
est-ce une volonté de votre part ?
J : Oui tout à fait. Quand on s'est rencontré, on était tous trois en opposition et un peu
écoeurés par la réalité du jazz parisien, l'ambience de la rue des lombards, tous les musiciens qui font le gig dans les restos à jouer des standards polissés pour que les clients
puissent manger leur steak tranquillement. Nous avons rejeté tout ça car ce n'est pas l'idée qu'on se fait de la musique ni du jazz.
F : Dans votre musique, on sent indéniablement des influences, plutôt flatteuses. Archie
Shepp, P.Sanders entre autres, et dans une optique plus globale au free jazz qui sévissait à la fin des 60’s, je pense à l’éthique d’un label comme ESP. Vous confirmez ? Et si oui,
comment êtes-vous tombé dedans ?
J : A fond ! Personnellement je suis tombé là dedans par Miles et Mingus ; eux mêmes ne
sont pas tellement free, mais les écouter m'a vite donné envie d'écouter coltrane, dolphy, Shepp, ornette...

F : Plus étonnant au premier abord, c’est le rapprochement avec Fela Kuti qui marque les
esprits et plus globalement, cette volonté d’explorer des sonorités « world » (bien que je n’aime pas cette appellation) ?
J :Peut être parce que nous sommes attirés par la transe ! Aussi nous vivons dans une
époque où nous avons accès aux musiques du monde entier, c'est normal de retrouver des influences pygmées, javanaises ou ethiojazz dans notre musique. En ce moment je suis branché musique
coréenne à bloc, c'est super stimulant !
F : Sur scène, votre musique implique beaucoup d’énergie, de violence aussi. Vous n’êtes
finalement pas loin du rock dans l’esprit. Jean Louis, trio engagé ? Et d’où vient cette volonté de saturer les sons ?
J :D'abord on a aussi une culture rock ; ça a été ma porte d'entrée dans la musique, le
grunge cartonnait quand j'étais au lycée, j'était bassiste dans un groupe de rock (on a du faire deux concerts hé hé). Ensuite la découverte qu'on peut se servir de l'amplification du son
pour transformer les instruments : la trompette d'aymeric sonne parfois comme une guitare ou un orgue, il peut jouer des lignes de basses alors que je fait sonner ma contre dans l'aigu !
C'est un super potentiel créatif.
F : On remarque aussi chez vous une certaine tendance à développer autour de phrases
musicales percutantes. En un mot, et pour nous ramener au rock, des riffs. Cela vient-il d’influences glanées du côté d’un certain type de Rock progressif, je pense notamment à des
groupes comme Van Der Graaf Generator ou King Crimson ?
J : Nous ne sommes pas vraiment branché rock progressif, mais on nous le dit souvent. Je
n'ai pas vraiment d'avis sur la question mais peut être qu'une bonne partie du rock bizarroïde est assimilé au rock prog.
F : Vous faites également preuve de beaucoup d’imagination dans l’utilisation de vos
instruments, ce qui est finalement rafraichissant. Ca me rappelle en quelque sorte les anecdotes de ces vieux bluesmen qui trafiquotaient leurs grattes pour en sortir des sonorités
originales ?
J : Et d'ailleurs nous avons du trouver nos propres systèmes pour arriver au son qui nous
plaisait.
F : Au fait, pourquoi Jean Louis ?
...
F : Comment vous situez vous dans la scène musicale en France ? Je veux dire, votre musique
est somme toute assez radicale … Vous trouvez facilement des supports ?
J : On a pas mal sillonné la france, notamment le circuit jazz et alternatif ou nous avons
reçu un bon accueil. Désormais on essaie de monter des tourner à l'étranger, ça se complique un peu parce que souvent il n'y a pas d'argent.
F : Dernière question : vous êtes un jeune trio européen, que pensez-vous de l’évolution de
notre vieux continent ?
J : Hou là là franchement c'est merdique ; j'ai l'impression qu'on tente de soigner le mal
par le mal, consommer pour sortir de la crise financière. Je suis frappé par l'obstination des politiques à conserver un fonctionnement précaire et leur dédain si ce n'est la haine envers
ceux qui ont des idées mais pas le pouvoir (c'est à dire l'inverse de nos gouvernants).
Entretien mené par Yoann.
LIEN :
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