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Spirit Of The Matter - Le Miroir A Trois Faces (2008)

par lou 3 Septembre 2009, 18:56



L’industrie du disque, nous dit-on, est malade. Faute à une génération inconsciente pillant ces œuvres, et sa substance primaire, le fric. En attendant, loin de toute cette agitation stérile, des musiciens se rencontrent, parlent musique (et non rendement), improvisent, échangent. Que ce soit dans une chambre d’étudiant, dans le garage de parents conciliants, ou en fréquentant des arrières salles de bars paumés. De ces expériences surgies souvent la créativité, de celle qui manque tant à l’industrie du disque d’aujourd’hui.

Ces projets restent finalement bien trop souvent dans l’ombre, sombrant dans l’oubli faute de structure adéquate. Combien de perles, de musicos extraordinaires, avons-nous loupées ces dernières années ? Sans aucun doute trop, beaucoup trop. Et il m’en aurait fallu de peu pour que je passe à côté des Spirit Of The Matter, un groupe de potes comme il en existe tant d’autres, perdus dans la masse d’une architecture comme Myspace (merci Pascal pour la découverte).

Dès les premiers morceaux de leur dernière autoproduction, mis en téléchargement gratuit, on se sent pris dans un magma d’influence apocalyptique, piochant allègrement dans le rock underground des sixties (on pense irrémédiablement au rock allemand, aux excentricités psychédéliques anglaises). L'album est construit autour d'un beat électronique envoutant sombrement l’auditeur, que de rares mélodies fragiles viennent éblouir. La production est très noire, impitoyable dans sa rythmique, agressant l’auditeur de stridences électriques, technoïde, et enveloppant ces atmosphères de nappes d’harmonium qui rend d’autant plus sacralisant le message porté par ce Miroir A Trois Faces.

Ça va mal… Trois mots qui reviennent comme une grande claque dans la gueule de l’auditeur. Pour le moment, le groupe est à la recherche d’une maison de disque, et cela paraît incroyable tant l’impact musical est réel à l’écoute de cette autoproduction.

Rencontre avec Ian Marek, guitariste et violoniste, qui nous a accordé avec bonheur cette petite entrevue ! Merci Ian, merci Pascal !

 

Fuzzine :    Tout d’abord, faisons un peu connaissance. Au départ, c’est quoi les Spirit of the Matter ? Nature du projet, rencontre, choix du nom du groupe… ?

Ian : Le groupe se compose, depuis sa formation en 2007, de El Jibi à l'harmonium et aux instruments électroniques, de Rémi à la batterie et de moi-même, Ian Marek, à la guitare et au violon. Nous nous connaissons tous depuis le lycée, mais ne nous étions pas vus pendant une vingtaine d'années avant de créer ce groupe. Lors des retrouvailles, nous nous sommes aperçus très vite que nos aspirations musicales et nos influences étaient si proche que nous parvenions de façon naturelle et évidente à produire une musique totalement improvisée, ce qui était assez étonnant après 20 ans sans se voir. Nous avons donc commencé à enregistrer ces sessions d'impro, sans imaginer au départ que cela deviendrait le premier album de Spirit of the matter. C'est en travaillant en studio, sur les rushs de ces enregistrements, qu'il est devenu clair que cette musique donnait matière à être finalisée sous la forme d'un album, en utilisant l'overdub ainsi que les facilités de production actuelles.

Le nom du groupe "Spirit of the matter" est sans doute venu de toutes les circonstances heureuses qui ont entouré nos sessions d'enregistrement, car c'était comme si les lieux où nous avions joué, les instruments utilisés, la "matière" avaient été habités par des ondes positives qui nous tiraient vers le haut. Nous croyons beaucoup à cet imperceptible qui nous entoure et à la destiné aussi qui fait que nous ne contrôlons qu'une part infime de notre existence. Ne pas totalement calculer ce qui va se produire lorsque l'on joue ensemble est peut-être aussi ce que nous aimons le plus et c'est finalement ce qui nous caractérise. Nous essayons de mettre en valeur nos défauts. Le fait d'utiliser un harmonium d'église dans presque tous les morceaux signe aussi monstrueusement le son Spirit of the matter.

 

Fuzzine : Votre musique brasse large. On ressent indéniablement l’influence du Floyd, mais aussi du rock allemand, tout en usant de beat résolument moderne. Vous la définiriez comment ?

Ian : Nous sommes définitivement marqués par le psychédélisme, le rock et le blues anglo-saxon de la fin des années 60 et du début des années 70, que ce soit par les grands groupes ou par des groupes plus obscurs. Il y a tellement à puiser dans cette période qui est comme une mine de joyaux intarissable. Bien sûr nous ne sommes pas passés à côté du krautrock et de groupes issus de pays moins connus pour leur musique psychédélique et qui ont vraiment une identité qui leur est propre. El Jibi apporte également au groupe ses influences en musique électronique, expérimentale et concrète, ce qui donne des événements sonores inhabituels, même si le monde de la musique psychédélique et celui de la musique expérimentale ont toujours communiqué étroitement. En fait lorsque nous avons commencé à jouer ensemble et dans les projets qui ont suivi, à aucun moment nous ne nous étions dit, nous allons produire une musique psychédélique. Notre musique s'inscrivait d'elle-même dans cette mouvance. De même, nous ne sommes jamais fixés de limites et voulions rester libres de jouer des notes ou des sonorités de tout style. Le fait que parfois notre musique parte dans des beats ou des sonorités qui paraissent plus actuelles est sans doute dû à cette absence de barrière. Mais nous savons aussi qu'il y a des directions où nous n'avons aucune envie d'aller et par chance nous avons en horreur les mêmes "catastrophes musicales ", ce qui est idéal. Partager les mêmes points de vu sur les sonorités, la musique que l'on écoute ou que l'on produit est confortable et gagne du temps. C'est sans doute pour cette raison que les vibrations sont bonnes au sein du groupe, car sans se concerter, on regarde dans la même direction. Nous ne ressentons pas non plus le besoin de faire évoluer notre musique vers autre chose, et d'ailleurs la plupart des groupes qui essaient de changer pour le changement ne font que se perdre. En ce qui concerne le Floyd (celui de Barrett), j'ai écouté à 6 ou 7 ans The piper at the gates of dawn et cet album m'a sans doute marqué très jeune pour le reste de ma vie.

Fuzzine : Vous en êtes à votre 3e album, autoproduit comme les deux précédents. C’est un choix, ou une contrainte ?

Ian : C'est clairement une contrainte même si pour les deux premiers albums nous ne nous étions pas vraiment posé la question de le faire produire. Généralement nous mettons toute notre énergie dans la partie créative et avons plus de mal à penser au reste. D'un autre côté, cela nous ennuierait d'être différents et surtout d'avoir davantage d'arrières pensés que de créativité ! Pour "le miroir à trois faces", nous cherchons un label qui pourrait produire l'album sous la forme d'un vinyle ou d'un cd. Nos albums ont tous été pensé au format vinyle dans leur durée et dans l'organisation des morceaux, car nous préférons ce type de support, même s'il est vrai que le cd est mieux diffusé.

Fuzzine : Dans le même ordre d’idée, vos 3 albums sont disponibles en téléchargement gratuit. Réelle volonté d’indépendance et de diffusion de votre musique ? Ne souhaiteriez-vous pas signer sur un label, comme Soleil Zeuhl par exemple ?

Ian : Internet permet de faire exister une musique qui n'existerait pas sans production et donc c'est une très bonne chose. Nous avons toujours souhaité rendre disponible tout Spirit of the matter en téléchargement gratuit, car nous sommes convaincus que cela ne peut pas nuire à d'éventuelles ventes si les albums sont produits par une maison de disques. Au contraire, c'est un plus et cela permet de faire connaître le groupe. Avec "Le miroir à trois faces" nous allons aussi rechercher activement un label et bien sûr toutes les propositions seront bienvenues.

Fuzzine : Il n’est pas évident de nos jours de diffuser réellement sa musique. Certes, le net est un espace propice à la diffusion, mais la quantité d’information tend à noyer l’information. Comment faire pour sortir du lot ?

Ian : Nous ne cherchons pas vraiment à sortir du lot sur internet et avons tendance à laisser faire les choses. Si on nous écoute, c'est bien, sinon cela a une importance toute relative. Nous existons avant tout par passion pour la musique et je pense que nous serions tout à fait capables de travailler des heures et des heures sur une musique en ayant la certitude de ne jamais être écouté par personne. Après tout la vie n'est-elle pas faite d'une somme de choses inutiles ? Toutefois, c'est vrai qu’Internet n'est certainement pas le meilleur moyen de se faire connaître et nous avons conscience du fait qu'un producteur qui dispose de moyens de diffusion serait mieux à même de nous amener à toucher un plus large public.

Fuzzine : Parlons concert. Tournez vous un peu dans les circuits ?

Ian : Actuellement nous nous consacrons surtout à la création en studio et nous attendons d'avoir un album produit pour organiser une tournée. Notre musique sur scène reprend des thèmes présents sur les albums, mais reste à 80 % improvisée et l'un des éléments essentiel de notre son étant entre autres un harmonium d'église, bien réel (que l'on ne tient pas à sampler), il est très difficile d'organiser de petits concerts occasionnels. Mais il est certain que l'un de nos objectifs est de pouvoir jouer notre musique lors d'une série de concerts en se donnant les moyens techniques pour y parvenir et en travaillant aussi spécifiquement pour la scène. Ceci ne doit pas dévaloriser le travail en studio, car nous ne croyons pas du tout, contrairement à ce que beaucoup affirment aujourd'hui, que l'album ne soit qu'une carte visite. Pour nous, l'album est une oeuvre à part entière et ne sera jamais un produit jetable. Beaucoup de pierre angulaire du rock et de la musique psychédélique, les plus grands classiques, n'ont existé et continuent d'exister que par le disque.

Fuzzine : Le Miroir à Trois Faces est votre dernier album. Comment a-t-il été composé ?

Ian : Toute la base du miroir à trois faces (harmonium + instruments électroniques, guitare et batterie) a été improvisée en une seule nuit d'août 2008. Quand nous avons écouté cette session nous nous sommes rendu compte que ce qui était joué était globalement très sombre et sinistre et cela a donc tout de suite orienté la suite du travail qui a été effectué sur cet album. Le titre "la réalité", produit bien avant le reste de l'album a confirmé cette orientation et nous avons je crois, par la suite, poussé à son paroxysme l'aspect lugubre de l'ensemble. Ce catastrophisme que nous prenions aussi parfois avec dérision est devenu le concept et pour accentuer cette idée de concept album nous avons voulu qu'il se termine sur les notes ou il avait commencé comme pour refermer une porte. Les pistes en overdub ont été ajoutées au stu stu et au moka club studios pendant différentes périodes s'étalant d’octobre 2008 à mai 2009. El Jibi a ajouté de multiples claviers et instruments électroniques ainsi que des bruitages et effets sonores tandis que j'ajoutais violon, guitares, basse et theremin. La contrainte de notre méthode de travail qui est à chaque fois un défi, plutôt motivant par ailleurs, c'est que la base improvisée, qui est enregistrée en deux pistes stéréo ne peut en aucun cas être modifiée. Nous avons toujours utilisé cette méthode qui donne l'aspect vivant et la chaleur de notre musique puisqu'une partie des imperfections reste jusqu'à la fin. Nous n'aimerions pas produire une musique totalement aseptisée et carré, c'est pourquoi nous continuons avec ce processus d'enregistrement qui est tout de même assez particulier, mais qui nous convient à merveille.

Fuzzine : Sur cet album, un morceau se dégage irrémédiablement. Sur un beat agressif et hypnotique, vous déployez sur La réalité un texte particulièrement engagé et finalement en phase avec l’évolution de nos sociétés. Comment vous est venue l’idée ?

Ian : Oui en fait il s'agit d'un texte d'Antonin Artaud. Quand El Jibi a trouvé ce texte, nous avons été très étonnés de voir à quel point il semblait décrire le monde dans lequel on vit actuellement. Il collait aussi parfaitement à la musique qui au départ avait été composée et jouée sans penser du tout au texte. Ce morceau a donné le ton de l'album qui est-ce que nous avons réalisé ensemble de plus sombre et pesant. La musique seule de la réalité était déjà agressive et noire, mais elle se trouve idéalement complétée par ce texte magnifique de Artaud. Utiliser ce texte aujourd'hui est comme une réponse en écho à ces dirigeants qui ont eux-mêmes mis en scène un catastrophisme calculé pour se faire élire.

Fuzzine : Dans le même ordre d’idée, dans un milieu où le mot politique est un tabou, pensez-vous que la musique puisse être un vecteur d’idéologie, ou la musique se doit-elle simplement de divertir les masses ?

Ian : Qu'on le veuille ou non, les décisions politiques ont des répercussions sur notre quotidien à tous et donc bien sûr on se sent concerné. J'ai toujours pensé que la musique peut parfois véhiculer des idées, le tout étant que ce soit fait avec subtilité. On peut aussi faire passer des idées par ricochet en poussant les gens à s'interroger ou à découvrir d'autres choses que ce qu'on veut leur faire ingurgiter de force. Dans le quatrième morceau du miroir à trois faces, "proche du sommeil", nous utilisons un texte, tiré d'un film de SF, qui parle d'une invasion extra-terrestre et de comment ces extra-terrestres ont changé l'homme. Sorti de son contexte, on s'aperçoit que ce texte colle parfaitement à ce que connaît notre pays actuellement et comment les dirigeants actuels transforment les mentalités. L'égocentrisme, le fait d'être focalisé sur soi même...C'est effrayant de se dire qu'un dialogue qui parle d'extra-terrestres néfastes s'applique très bien à une description de notre gouvernement. Je vous invite à écouter attentivement ce morceau qui est à mon avis l'un des temps forts de l'album, dont le dialogue à une forte résonance politique. Par contre si le miroir comporte ce type de connotations politiques en raison du ton général de l'album, il est possible qu'il n'y en ait aucune dans "Zuble Land" sur lequel nous travaillons. Là encore pas de règle établie d'avance.

Fuzzine : Indéniablement, ce dernier album est très sombre. Pourtant, une lumière apparaît au son de Blue Love Still Around. Tout n’est pas perdu finalement ?

Ian : Je pense que dans un album comme le miroir, le fait d'avoir des "paliers de décompression" comme "blue love still around" donne d'autant plus de relief aux instants graves. Le disque se termine également dans ses dernières notes de façon positive et souriante, ce qui procure un sentiment d'espoir, sans toutefois savoir si c'est réel ou trompeur. Je ne sais pas si cela se ressent aussi, mais parfois nous caricaturons l'aspect dramatique de cet album pour le rendre dérisoire (c'est le cas lorsqu'intervient le theremin fantomatique dans le dernier morceau de l'album). Souvent dans notre musique peuvent jaillir de petites touches de dérision par exemple lorsque nous jouons du potentiel comique d'un son ou d'une suite de notes. Nous ne nous prenons jamais trop au sérieux, car si c'était le cas, le miroir aurait été pour le coup réellement dramatique !

Fuzzine : Vos projets pour la suite ?

Ian : Actuellement nous travaillons sur deux projets. Le prochain album qui s'intitulera "Zuble Land", dont les sessions live ont été enregistrées au printemps 2009 et dont nous avons commencé la partie studio. (zuble est une planète imaginaire, mais c'est aussi un lieu - dit en Saône-et-Loire dont le nom prête à rire vous ne trouvez pas ?) En parallèle, nous avons enregistré en août 2009 la base de ce qui deviendra "Mammouth" lorsque le mixage sera achevé début 2010 sans doute.Entre temps nous aimerions que "le miroir à trois faces" trouve un producteur et nous permette d'envisager de tourner.

Fuzzine : Le mot de la fin?

Ian : Ca va mal!!!

Merci à Ian pour cette entrevue. Vous pouvez aller écouté l'album à cette adresse:

http://www.reverbnation.com/spiritofthematter

Lou.


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