Qui affiche, aujourd'hui, pire profil de loser que Jimmy Page ? Ok, il est riche à crever. Mais en dehors de ça ? Comme le gars doit s'emmerder, toute une journée. Ses dernières apparitions publiques ont été d'une prestance... Représenter l'Angleterre aux JO chinois (cette mascarade) en jouant Whole Lotta Love sur le toit d'un bus, faut pas craindre les quolibets. Dis donc Jimmy, tu fréquentes les rouges, maintenant ? Quand le gars ne se mêle pas (encore) de s'ériger en justicier, contre les marchands de pirates. Alors qu'il les collectionne. Au moins, avec ses cheveux blancs, il refuse de faire le djeun's, c'est déjà quelque chose. L'arrivée massive d'Internet a été fatale pour Led Zep. La mise en lumière de leur panoplie (complète) du repompeur sauvage, et sans complexes, a réduit à néant le peu de respect qu'on avait encore pour eux. Reste de grands albums (surtout Physical Graffiti), un paquet de bonnes chansons. Mais tout ça désincarné, pas humain. La ou les (nombreuses) foirades des Stones, Who ou Clapton sont attristantes, on a pas envie de plaindre Led Zeppelin. Surtout pas leur gratteux, le noir cerveau du groupe. Pilote discret et totalement arriviste. Artisan doué, qui jouait de la caisse enregistreuse, aussi bien que de la guitare. Curieusement, son dernier album en duo avec Plant (l'excellent et méconnu Walking Into Clarksdale, de 1998) résonnait dans le sens du pardon. Travail presque humble de Majestés en exil. Dignités brisées par la vie, contraintes de ravaler leur putain de fierté. Badaboum, tout le monde s'en est tapé. Reste le technicien Page, le producteur de génie. Celui qu'on célèbre à longueur de mensuels pour guitaristes. Le son, le matériel, le jeu tout en trompe l’œil, les armes de la domination mondiale. Autant que de la pire des roueries. L'homme? Passé à la trappe. Vous me direz, il a l'air tellement sympa, c'est aussi bien comme ça.
Pour tenter de s'y retrouver (on doit tous quelque chose à Led Zep) le livre Light And Shade propose des pistes. Qu'elles soient enrichissantes, ça reste à démontrer. L'auteur se nomme Brad Tolinsky, et il officie d'habitude dans Guitar World. En dehors d'un résumé (bien rapide) de la longue carrière, la majorité du bouquin est dédiée à de copieux entretiens avec Jimmy Page. Qu'on sait peu bavard, pas enclin à raconter sa vie. Considérant que ses opinions ne regardent que lui. Donc, pour une fois qu'il veut bien parler sans (trop) de langue de bois, il serait mesquin (chacun son tour) de faire le difficile. Et si les réponses sont à la hauteur du personnage (intelligentes, froides et très articulées), les questions posent un vrai problème. A savoir, est il nécessaire de cirer les pompes de Jimmy Page, chaque fois qu'on lui demande quelque chose ? Tout est du niveau «ce truc que vous avez fait était génial, pensez vous que....». Sur une piste aussi bien dégagée, n'importe qui s'en tirerait les doigts dans le tarin. D'ailleurs, au sujet délicat des emprunts musicaux, James Patrick Page a une arme imparable. A savoir que lui s’inspirait des autres. Beaucoup, même. Mais construisait du neuf avec du vieux. Non, le vrai pompeur c'était Plant. Qui recopiait totalement les paroles. Moi j'ai rien fait. Circulez, y a rien à voir. Si c'est pas du culot, je me fais évêque. Sinon, les dires de Son Altesse sont étayés par des témoins de première bourre, qu'on entend, finalement, peu sur le sujet. Jeff Beck, John Paul Jones ou même l' habituellement si peu intéressant Paul Rodgers. A en croire ce dernier, c'est lui qui a redonné le goût de la guitare à Page, après la sale fin de Led Zep. C'est peut être vrai, mais ne change en rien l'épouvantable souvenir laissé par The Firm. Seul jeunot au milieu de tous ces vieux, Jack White ne concède rien à personne. Son approche basique se reçoit même comme un salvateur coup de pied au cul, quand le ronron menace.
Au total, le livre est conseillé, avec réserves. Inutile d'y chercher les récits dignes des carnets d'un bordel, qui ont fait la réputation des tournées du Dirigeable. Jimmy en lâche un peu (pas fou) juste de quoi nous affoler. Et confie que regarder les autres délirer est, au bout d'un quart d'heure, assez lassant. Par contre, il a donné. Sans honte. On en apprend aussi beaucoup au sujet des sympathies occultes de Page (bien qu'on s'en tape un peu). Un effort certain est même fait, des lors qu'il s'agit de défendre la parole d'Aleister Crowley. Comme quoi, quand on veut on peut. En ce qui concerne les années de studio, il faudra rester sur sa faim. Aucune révélation fracassante sur les sessions avec Fleur De Lys, les Kinks, les Who ou les Them. Encore que je sois certain que c'est bien Jimmy qui joue sur Baby Please Don't Go. Seul un super pro peut, de cette façon presque totalitaire, maîtriser un riff si basique. Et (sans doute pour relever une image bien écornée) notre homme en fait aussi des tonnes, dès qu'il s'agit des rapports de Led Zep avec sa maison de disques. Intransigeance et indépendance totale étaient les maîtres mots. Ce qui est quand même plus facile, quand on vend des disques à la pelle. Quant à consacrer autant de place (les deux derniers chapitres) à une astrologue et à un designer, c'est ignorer le sens de l'expression blues crasseux, dans son approche la plus revendicatrice. Le styliste en question est un ancien de chez Calvin Klein. Juste pour situer son niveau en matière de rock. La caution nouveau riche, sans doutes. Idée étayée par la lecture d' une phrase comme «vous avez copié Bert Jansch et Ann Briggs, mais dans une optique rock», qui renforce la conviction qu'on ne prête qu'aux rupins. Pas d'aujourd'hui que le tribunal des faillites réglera la question Led Zep. Pour ceux que le sujet intéresse, je recommande le petit volume d'Alain Dister. D'abord parce que l'approche est originale, et car voilà un Monsieur dont il faut toujours dire le maximum de bien. Comme Willie Dixon.
Laurent